
Conversation avec Tracy Gotoas, actrice passionnée et passionnante
Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance de discuter avec Tracy Gotoas. D’abord réalisatrice, puis actrice depuis maintenant deux ans, c’est dans la série Braqueurs parue sur Netflix, que je l’ai vue jouer pour la première fois ; elle y joue le rôle de Liana. Ensemble, nous avons pu évoquer son métier d’actrice, la place des femmes noires dans le milieu du cinéma ou encore ses coups de cœur du moment. Plus un échange qu’une interview, cet article a pour but de vous faire découvrir la femme sincère et passionnante que j’ai eu l’occasion de rencontrer.
J’ai l’impression que diverses rencontres t’ont permis de faire ce que tu fais aujourd’hui. Penses-tu avoir été chanceuse ? Selon toi, pour jouer, faut-il rencontrer les bonnes personnes et est-ce si simple rencontrer ces dites-personnes ?
C’est une question assez pertinente. Je pense qu’il n’y a pas de règle dans le cinéma : tu peux avoir fait dix milles écoles, rencontrer un paquet de monde et ne pas y arriver ; et, a contrario, tu peux rencontrer une personne qui peut littéralement changer ta vie. Il y a vraiment zéro règle.
Je m’estime à la fois très chanceuse ; je suis tombée sur beaucoup de gens bienveillants qui ont crus en moi, mais je sais que j’ai provoqué ma chance. À seize ans, je me suis dit : « Écoute Tracy, personne ne va venir te chercher ».
J’ai commencé à répondre à toutes les annonces possibles et inimaginables et j’ai fait un stage en réalisation. Je suis ensuite entrée dans l’association 1000 visages après avoir répondu au casting du film Divines alors qu’ils avaient bien précisé qu’ils cherchaient une actrice noire plutôt ronde ; je me suis tout de même dit « Allez ! On va quand même y aller ! ». Au final, ils ont fait passer le casting à tout le monde et j’ai pu intégrer l’association par la suite. L’association m’a fait rencontrer Émilie, et Émilie m’a fait rencontrer mon agent.
Donc les étoiles se sont alignées ! Mais si à seize ans, je n’avais pas pris la décision de me sortir les doigts comme on dit -rires- je n’aurais jamais fait tout ça. Certaines personnes ont purement et simplement de la chance ; d’autres ont plus galéré, certains moins. C’est un peu le loto. C’est bizarre tout ça -rires-.
J’ai longtemps vu le cinéma comme un milieu réservé aux personnes blanches en priorité. J’ai souvent pensé qu’il n’y avait pas, ou peu de place pour les femmes noires. Que penses-tu de tout cela ?
Le cinéma est complètement un milieu réservé aux personnes blanches pour être honnête. Cite-moi le nom de cinq actrices noires qui travaillent actuellement et qui sont vraiment récompensées ?
Certains noms me viennent en tête : je pense notamment à Aïssa Maïga, à Assa Sylla qui a joué dans Skam France, à Karidja Touré qui a joué dans Bande de fille et à Déborah Lukumuena qui a joué dans Divines. J’estime néanmoins qu’elles mériteraient plus d’exposition.
Déborah a vu deux de ses films sélectionnés à Cannes l’année dernière. Je dis ça, je ne dis rien ! Pourtant, on ne l’a vu sur aucune couverture de magazine ; on n’en a jamais parlé alors que c’est un moment historique. C’est quand même la première femme noire à avoir eu un César du meilleur second rôle. Il faut admettre que cette femme a marqué l’histoire du cinéma français.
Personnellement, ma mère m’a toujours soutenue ; je ne m’étais donc jamais posé la question « noire ou pas noire ». C’est en entrant dans le vif du sujet et en commençant à travailler que je me suis rendue compte qu’il y a un vrai racisme qui se fait. Je peux également noter que les réalisateurs privilégient, le plus souvent, des profils physiques très semblables lorsqu’il s’agit de femmes noires.
Je pense qu’on est en période de transition, ça va arriver petit à petit. Mais certains ont du mal ! Je le ressens même avec la série Braqueurs : beaucoup de personnes issues de minorités sont mises en avant, mais les commentaires critiquant les jeunes personnages de la série montrent que certaines personnes sont passées à côté. Les gens n’étaient pas forcément prêts à voir autant de personnes noires et maghrébines mises en avant. Il y avait vraiment un manque de compréhension : certains ont dit qu’il n’y avait pas assez d’acteurs blancs ; mais quand on voit un film dans lequel les personnes sont principalement blanches, est-ce qu’on se pose systématiquement la question ?
J’ai l’impression que les femmes noires sont trop souvent représentées, au cinéma, comme des femmes de banlieue le plus souvent. Les rôles sont souvent très similaires et caricaturés alors que d’autres femmes ont plus d’opportunités ? N’est-ce qu’une impression ou cela, s’explique-t-il ?
On est tous les héritiers d’une histoire et l’histoire des peuples noirs est complexe : on s’inscrit encore dans cette histoire, c’est normal. Les choses évoluent cependant. Dans une interview de Aya Nakamura pour Clique, quand on lui a demandé comment elle vivait les critiques, elle a répondu qu’on n’a jamais appris au gens à considérer une femme noire comme une femme. Et j’ai trouvé ça hyper pertinent !
Pour te répondre, les Maghrébines s’en sorte mieux notamment pour des raisons liées au colorisme, c’est vrai. Le fait que certaines aient la peau claire laisse penser que certaines femmes blanches pourraient tout de même s’identifier.
J’ai personnellement la chance d’avoir un agent extraordinaire. Mes rôles me conditionnent encore et ma couleur de peau a toujours un lien avec le rôle, sauf pour le film Sage Homme que je tourne en ce moment ; je joue la petite amie du perso principale. Si ma couleur de peau avait été différente, cela n’aurait rien changé à l’histoire. Certains films me ramènent à ma couleur de peau et certains rôles tentent de s’éloigner des stéréotypes.
On reproche à certains acteurs assez populaires de jouer des rôles trop caricaturaux. Penses-tu que les acteurs noirs devraient aujourd’hui refuser certains rôles ?
On arrive à un stade où certains peuvent se permettre de refuser de jouer des rôles caricaturaux, mais je reste quand même consciente que certains soient dans l’obligation de jouer ce genre de personnage. Les Américains sont aussi passés par des rôles caricaturaux avant de se faire une véritable place. Je pense qu’une génération va devoir se sacrifier pour exister à l’écran.
Parlons maintenant de ton travail et de ton métier d’actrice tout court et non d’actrice noire maintenant -rires- ; quel a été ton plus gros challenge en tant qu’actrice ?
C’est le rôle que je joue maintenant dans un film qui s’appelle Du crépitement sous les néons racontant l’histoire d’une jeune femme nigériane qui arrive en France et qu’on veut forcer à se prostituer. Le personnage ne parle pas français ; c’est donc de la composition à 10 000 % pour moi. C’est cool pour moi parce que ça me donne une palette de jeu ; je n’ai rien fait de tel avant.
Comment gères-tu l’exposition liée au métier d’actrice ?
C’est trop dur ! Mais ça reflète aussi le stade de ma vie. Tout dépend de la confiance que tu as en toi, de l’image que tu as de toi-même. Même si tu ne reçois que 5 % de commentaires négatifs, c’est horrible ! Un homme a pris une photo de moi dans Braqueurs et a dit sur Twitter « quelle actrice de m*rde ». Sur le coup, c’est violent puis je relativise : il faut vraiment être mal dans sa peau pour faire ça. On peut en parler entre potes, en famille, ou autour d’un verre quand on n’aime pas une série ou un film. Mais en parler sur Internet après avoir pris une photo…
Puis-je te demander d’évoquer l’image tu as de toi, en tant qu’actrice et en tant que femme ?
Les deux sont liés : plus j’avance et plus je suis fière de moi. J’ai décidé de vivre dans l’amour de moi-même, de mes proches ; il n’y a rien de plus précieux, de plus fort et de plus intéressant et sans ça il n’y a pas de vie sur terre.
Je prends soin de moi, de mon mental, je me renseigne sur le cerveau humain. Je n’ai pas toujours eu confiance en moi. Quand j’ai compris que ce n’était pas de ma faute et que c’était parce que j’avais vécu telle ou telle chose, je suis devenue plus indulgente envers moi-même.
J’ai été très douce, très solaire envers les autres, pas envers moi. Aujourd’hui, je prends soin de moi : je vais chez l’ostéopathe, chez le thérapeute, je vais me faire masser, je vais en vacances, je m’achète des vêtements. Ça a l’air superficiel, mais on ne se rend pas compte d’à quel point c’est important de faire ça pour soi-même. Ça permet d’avancer : plus tu te chouchoutes, plus tu t’aimes, et plus t’es en capacité de ne pas être aigri et de profiter de la vie. On ne s’en rend pas toujours compte, mais la vie est courte et on n’est pas sûrs d’être là demain. J’ai décidé de faire de ma vie un paradis.
Et j’aime beaucoup trop mon travail d’actrice pour avoir une relation toxique avec. Il y a un temps pour travailler et il y a temps pour soi. Ça nécessite une vraie transparence avec soi-même, mais plus tu avances, plus tu es content et plus tu es content, plus tu avances avec facilité. Ce que je veux aujourd’hui, c’est des faux problèmes du style « M*rde les impôts veulent me prendre 30 000 euros » ou « mince ! Je ne sais pas quelle voiture choisir » -rires-. Et puis nous, on a la chance d’avoir un toit, à manger, un lit dans lequel dormir… On en a les moyens, on n’a donc pas d’excuse pour ne pas prendre soin de nous.
Tu as joué avec des acteurs très connus comme Sami Bouajila ou Isabelle Nanty ; est-ce impressionnant ?
Au début, ça fait bizarre. Mais tu l’intériorises. Plus tu joues avec des pointures et plus ça passe. Isabelle, pour moi, reste une rencontre incroyable et Sami était un peu comme un grand frère pour moi sur le tournage : il faisait attention à ce que je ne tombe pas, à ne pas me faire mal quand on jouait par exemple. Il est d’une humilité et d’une aide incroyable.
Les coups de cœur de Tracy :
L’artiste que tu aimerais évoquer pour que le public le connaisse plus : Néhémie Lemal : une jeune réalisatrice qui fait des documentaires très intéressants et très pertinents. Elle est extrêmement passionnée, extrêmement touchante. C’est une jeune femme noire qui en veut et pour moi, elle réussira parce qu’elle est sincère dans sa démarche. Son documentaire On ne peut plus rien dire est disponible sur YouTube.
La cause qui te tient le plus à cœur en ce moment : l’environnement, car on dépend tous de l’environnement ; et le racisme encore omniprésent. Ce sont les deux piliers qui permettront à l’humanité d’avancer.
L’œuvre d’art qui te touche le plus : ça dépend, mais là, tout de suite, le dernier trauma que j’ai eu artistiquement parlant, c’est The colour in anything de James Blake
Un message à la Tracy du passé et du futur : « Ne t’inquiète pas tout va bien se passer » pour les deux !
Vous pouvez retrouver Tracy sur Instagram. La série Braqueurs est aussi disponible sur Netflix ; nous attendons avec impatience de la voir dans L’horizon le 18 janvier 2022 ou encore dans Sage Homme.
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