Témoignage de Kateryna, ukrainienne : s’enfuir pour (sur)vivre

Comme des millions d’autres Ukrainiens, Kateryna, 30 ans, a fui son pays au lendemain de l’invasion russe. Plusieurs mois après le début du conflit, la jeune femme évoque son voyage jusqu’en Espagne et exprime son inquiétude pour sa famille restée en Ukraine.

Quels ont été tes sentiments, tes émotions, lorsque tu as compris ce qu’il se passait ?

C’est difficile à expliquer. J’ai fait de mon mieux pour ne rien ressentir. En général, je suis une personne qui écoute beaucoup ses émotions, qui a de l’empathie etc. Mais j’ai compris d’une certaine manière qu’il fallait que je les stoppe, sinon ce serait trop compliqué. J’ai demandé aux gens autour de moi de ne pas trop me parler des actualités, je n’ai rien lu avant de traverser la frontière ukrainienne. Il y a trop de sentiments en même temps : on craint pour sa famille, pour soi-même, on ne comprend pas vraiment ce qui se passe, on est énervé et on réalise que c’est impossible d’avoir une influence sur la situation. On n’a aucun plan donc il faut prendre des décisions rapidement sans pour autant savoir ce qui va arriver ensuite.

Quelle atmosphère la guerre a-t-elle provoquée en Ukraine ?

Les gens sont devenus encore plus soudés et unis, même si les Ukrainiens ont toujours été comme ça. On se dit toujours que l’on va bien, on demande aux autres « comment je peux t’aider ? ». On partage tous ce que l’on a, même si certains ont peu. Les entreprises donnent des tas de choses gratuitement. Il n’y a ni panique, ni larmes. Les gens cuisinent pour l’armée et pour ceux dans le besoin, ils tissent des filets de camouflage, ils apportent des médicaments venus des pays voisins, ils s’entraident pour quitter les endroits dangereux etc. J’ai passé dix-sept heures à la frontière et des locaux m’ont offert du thé et du café chaud.

Comment as-tu réussi à quitter le pays ?

Pour moi, traverser la frontière a été relativement simple comme je suis une femme et que j’avais tous les documents. J’aurais aimé que mon mari puisse venir avec moi, même s’il n’a évidemment pas eu le droit. C’était un trajet long et stressant. Normalement je mets cinq heures de Kyiv à Lviv, cette fois, ça m’a pris dix-sept heures. Beaucoup de gens essayaient de rejoindre des endroits plus sûrs, donc les routes étaient embouteillées. J’ai la chance d’avoir ma propre voiture et j’ai pris la décision de partir aussi vite que possible dès que j’ai entendu les premiers coups de feu, à cinq heure, le jeudi matin.

Ton mari n’a pas pu venir, as-tu pu partir avec d’autres membres de ta famille ?

On était quatre. Mon mari et moi, et ma sœur et son fiancé. Les hommes étaient avec nous jusqu’à la frontière, mais ils ont dû rester dans le pays. Donc j’ai continué la route avec ma sœur. On a traversé la frontière slovaque parce la frontière polonaise était surchargée. On a ensuite conduit jusqu’en Pologne. Ma sœur a décidé de rester là-bas, moi je voulais aller en Espagne. J’ai continué mon trajet seule. Tout le reste de la famille est toujours en Ukraine.

Comment t’es-tu sentie en arrivant en France ?

J’allais mieux, bien sûr. J’allais bien physiquement, même si c’est impossible de vivre normalement en sachant ce qui se passe dans mon pays. J’étais très inquiète pour ma famille, mes amis, pour tous les Ukrainiens. Je me sentais mal d’être partie, mais j’ai entendu que les gens qui étaient restés n’allaient pas bien non plus. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision. Dans mon cas, je pense que je peux être beaucoup plus utile d’ici, où je vais bien psychologiquement, plutôt que d’être assise là-bas sans savoir ce qui va arriver la seconde d’après.

J’avais tout en Ukraine. Donc j’étais un peu perdue pour être honnête. Bien sûr, je suis en train de chercher un travail, de créer mes papiers, etc. Mais commencer une vie à partir de rien n’est pas chose facile, même en étant entourée.

 

 

Penses-tu que la France a réussi à devenir un « pays solidaire » ?

Oui ! On est extrêmement reconnaissants pour tout ce que vous faites ! Ça n’a pas de prix pour nous. Tous les Européens sont là, avec nous, prêts à nous aider. On n’oubliera jamais cela.

As-tu été aidée par des associations ou des organisations humanitaires ?

Non. Je connais une fille qui a quitté sa maison en pyjama et en chaussons, elle a emmené son bébé, un passeport et rien d’autre. La route a duré quarante-et-une heure, il faisait un froid glacial. Il y a des tas de filles comme elle. Comparé à ces gens, j’ai plus de choses qu’il m’en faudrait. J’ai ma voiture, des vêtements, de l’argent pour m’acheter à manger. Je ne peux pas prendre l’aide dont ces gens ont besoin.

Je suis restée chez des familles locales sur mon chemin pour Madrid. Je les ai trouvées sur Eu4ua.org. Les gens étaient très gentils, encourageants, ils m’ont gentiment offert de m’héberger. Pour moi, seuls des gens au grand cœur peuvent faire ça. Ils sont mes anges.

Quels sont tes plans pour les prochains mois ?

Je suis arrivée où je voulais, à Madrid. Une fantastique famille locale m’a proposé de rester chez eux pour quelques temps. Évidemment, j’adorerais rentrer à la maison demain, mais ce n’est pas quelque chose que je peux prévoir. Alors je suis en train de chercher un travail ici, en faisant mes papiers en parallèle, pour pouvoir louer un appartement. Les gens ici sont adorables, ils m’ont dit que je pouvais rester autant de temps que je voulais, mais je ne veux pas être un problème pour eux.

Dans mon scénario idéal, mon mari et moi vivrions dans les deux pays, en Ukraine et en Espagne. Espérons que notre maison en Ukraine survivra.

Propos traduits de l’anglais par Lucie Guerra

C’est en sillonnant le monde en quête d’aventures et à la découverte de nouvelles traditions et cultures, que Lucie se passionne pour l’écriture et les rencontres. De ces passions, nait une véritable vocation : celle d’utiliser sa plume et son appareil photo pour mettre en lumière les personnalités et les histoires de chacun.

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